Sur le quai de l’arrêt STAS du tramway, situé à hauteur de la faculté de lettres, rue du 11 novembre, les forces de police procédaient à une interpellation. Je fus indigné par la scène que je découvrais : L’homme, d’un certain âge (à priori cinquantenaire), était violemment maintenu face contre terre par trois policiers en tenue. Son pantalon était baissé, de telle sorte qu’on pouvait voir ses fesses et que ses parties génitales était pressées contre le sol. Manifestement de très modeste condition, vêtu d’un tee-shirt et d’un bas de survêtement usagé, avec de l’embonpoint, des signes de précarité sociale et économique, l’homme apparaissait pourtant comme très inoffensif. Il restait très calme, se laissant complètement faire, ne prononçant aucun mot, et grimaçant parfois en sic stigmates de la souffrance physique qui lui était occasionnée. Parmi les badauds, les commentaires allaient bon train, s’attristant sur la condition de ce « pauvre homme », contre la rudesse, le sur-dimensionnement des moyens employés. Au bout de quelques minutes, il fut enfin relevé et conduit plus bas vers le véhicule de police, qui allait le prendre en charge. Un agent lui remonta enfin son pantalon.

Écoeuré par ce que je venais de voir, mais ne pouvant rien y faire, je décidais de poursuivre mon chemin. Après quelques pas et faisant échos à des commentaires que je venais juste d’entendre, je lançais le terme « Fasciste ! », à tue tête et à la volée. Quelque pas encore, traversant la rue pour rejoindre le trottoir opposé, c’est alors que je fus violemment pris à parti par un contrôleur de la STAS, dont, jusqu’à cet instant, je n’avais pas eu conscience qu’il était présent, ni lui ni ses collègues. Il y avait effectivement beaucoup de monde et ils n’ont pas attiré mon attention pendant ces instants.

Visiblement très énervé, me rejoignant d’un pas très rapide, il m’invectivait violemment : « Quoi ! Tu m’insultes ? Pour qui tu te prends ? Qu’est ce que tu veux ? Tu me cherches ? ... » Il se planta devant moi et il me poussa la poitrine avec ses mains à plusieurs reprises, m’obligeant à reculer. Comme il n’arrêtait pas de crier, je restais alors complètement silencieux et inerte, comme « pétrifié » par son agressivité. Il faut dire aussi que du fait de sa très forte stature, j’étais particulièrement impressionné. Je savais qu’il valait mieux que je reste tranquille en face de ce colosse quasi-hystérique, qui plus est, assermenté et porteur d’un uniforme. Il était évident que la moindre parole, le moindre geste pouvait me coûter très cher.

Au bout de quelques instants, un policier en uniforme s’interposa entre nous. Il demanda au contrôleur de partir et m’intima un ordre similaire. J’étais comme pétrifié et ne réagis pas immédiatement. Et puis, je me demandais pourquoi on me donnait l’ordre de partir. J’aurais voulu répondre au contrôleur. Il y avait plein de monde à cet endroit, je ne comprenais pas pour quels motifs j’aurais dû m’en aller. Immédiatement, l’agent agita son tonfa et commença à m’en asséner quelques coups, me réitérant l’ordre de partir. Mais je restais encore « pétrifié, tétanisé », ne disant pas un mot, et ne bougeant les bras que par réflexe, pour me protéger des coups. Très rapidement, en une fraction de secondes, j’eus la surprise de me retrouver à terre, complètement immobilisé, le visage appuyé sur le trottoir. D’une prise, j’avais été balayé par derrière et au saisi sur le sol, le visage appuyé contre terre.

J’eus la conscience d’une agitation autour de moi et remarquait brièvement qu’un agent de police dispersais la foule des badauds avec une bombe lacrymogène. Je fus ensuite menotté par derrière puis, pendant quelques minutes, tenu assis à califourchon, un agent appuyant sur les menottes avec son pied. On m’emmena ensuite dans un véhicule de police et je fus placé en garde à vue au commissariat du cours Fauriel, où, outre les conditions normales d’une garde à vue (isolement et cellules crasseuses), je fus tout à fait traité normalement.

Je suis maintenant convoqué au Tribunal de Grande Instance de Saint-Étienne, le jeudi 26 avril à 13h30, pour répondre des faits suivants : résistance avec violence à trois agents de police, et paroles de nature à porter atteinte à la dignité d’un contrôleur de la STAS. Je me demande bien ce que j’ai fait pour mériter un tel traitement et suis surpris de la plainte émise à mon encontre. On m’accuse de violence mais c’est moi qui ait reçu des coups lors de mon arrestation. Heureusement, rien de grave, ils sont superficiels, j’ai l’oeil tuméfié, quelques os endoloris, quelques contusions. Par violence, les agents indiquent que je me suis mis en garde, un peu à la manière d’un boxeur, mais je ne cherchais qu’à me protéger des coups de tonfa. Ils disent aussi que j’essayais de donner des coups de pied lorsque j’ai été saisis. Je n’ai pas essayé car, au delà du fait que je n’en avais pas du tout l’intention, j’en étais dans l’impossibilité physique étant donné la rapidité des évènements et l’intervention ultra-efficace des forces de l’ordre.

On m’accuse d’avoir insulté un contrôleur mais c’est moi qui ait subi une agression verbale très violente, et presque physique de sa part. Si le policier ne s’était pas interposé, je me demande même s’il ne m’aurait pas frappé. Je précise qu’avec 0,22g d’alcool dans le sang, c’est à dire presque rien (quelque vers de vin le long du repas), j’étais bien loin de l’ivresse. Par ailleurs, n’aimant pas la violence, je suis d’un tempérament pacifique. Je ne me serais pas risqué à chercher la bagarre à qui que ce soit et encore moins à un contrôleur ou à des agents de police. J’ai près 40 ans, je suis fonctionnaire à la ville de Saint-Étienne, jusqu’à présent, mon casier judiciaire était resté complètement vierge et j’en avais une certaine fierté. Je n’ai jamais pratiqué de boxe ni aucun sport de combat qui m’enseignerait à tenir une garde. J’élève seul et avec peu de moyens une adolescente de 16 ans. Je suis bien conscient que les problèmes que je peux récolter lui retomberont dessus, d’une façon ou d’une autre.

Pour en finir avec mon récit, j’indique que j’étais la troisième personne à être placée en garde à vue ce soir là pour, tenez vous bien, une affaire toute bête d’un seul ticket non validé dans le tramway. Les deux autres personnes sont cet homme, dont je vous ai décris les conditions de l’arrestation, et sa compagne, elle même une personne modeste et simple. Avec les méthodes policières stéphanoises, la fin de l’engorgement des tribunaux n’est pas près d’arriver. Je voudrais revenir sur le terme « fasciste », sorti de moi comme une espèce d’indignation. Un policier qui m’interrogeais m’a indiqué que son grand père avait fait la résistance et qu’il aurait mal pris qu’on s’adresse à lui de cette façon. Voici ce que j’aurais aimer répondre à ce contrôleur ou plus tard à ces agents de police, s’ils m’en avaient laissé l’occasion, mais aussi si je n’avais pas été retenu par la peur que je ressentais :

- D’un côté le terme « fasciste » paraît exagéré, on sait ce que c’est qu’une dictature fasciste, c’est autrement plus dur et cela ne convient pas à décrire la situation de notre pays.

- D’un autre côté, il serait malvenu de qualifier de fasciste une personne quelconque, même portant un uniforme, qu’on ne connaît ni en noir ni en blanc,. Je ne chercherais donc pas à étiqueter quelqu’un en particulier de fasciste. Après tout, que sais-je de sa vie et qui suis-je pour pouvoir me le permettre ? Mais pourtant, si on considère que le fascisme est une idéologie politique qui pratique et prône un état fort, centralisé, une économie libérale, l’omnipotence, l’omniprésence des forces de répression et une intolérance aigüe de tout ce qui déroge à la norme établie, système qui se caractérise aussi par ses inégalités économiques et sociales, force est de constater que cet incident presque insignifiant est un élément inquiétant à ajouter parmi tant d’autres, dont beaucoup sont hélas bien plus tragiques, un élément qui nous signifie une dérive inquiétante, une dérive fascisante de notre société.

Malgré ce qui m’arrive, je suis aussi très heureux de constater que des attroupement de badauds se forment lorsque de telles situations se présentent, qui proposent spontanément leur pratique de vigilance citoyenne, et qui ainsi permettent de limiter la violence et les abus des comportements sécuritaires. Merci à eux. Ils oeuvrent pour notre salut à toutes et tous.

Merci aussi à vous pour votre patience et votre attention me concernant.

Ramon Moya A Saint-Étienne, le samedi 14 avril 2007.